DES « RITALS » QUI RESONNENT DANS LE MONDE D’AUJOURD’HUI
LEBRUITDUOFF.COM – 25 juillet 2019
AVIGNON OFF 19. « Les Ritals » de François Cavanna – Mise en scène : Mario Putzulu – Interprétation : Bruno Putzulu – Théâtre du Chêne Noir du 5 au 28 juillet à 19h15
C’est d’après le roman autobiographique de François Cavanna « Les Ritals », que Mario Putzulu adapte et met en scène cette belle fresque sur l’immigration italienne du début du XXème siècle.
Nous voilà plongés dans cet univers particulier des immigrants italiens de l’entre-deux-guerres. C’est le petit François Cavanna qui nous parle au travers de l’interprétation pleine de tendresse de Bruno Putzulu qui s’identifie à ce petit garçon admiratif de son père. Un père maçon, Luigi, à qui l’on confie les travaux les plus durs pour un salaire de misère. Mais ce père a plus d’un tour dans son sac, c’est un homme simple et bon qui répare les mètres cassés, les poches remplies d’objets insolites qui peuvent toujours servir.
Le dimanche le petit François part en balade en tenant étroitement la main de son père. On se rend dans les bars de ritals de Nogent-sur-Marne où le chianti coule à flots pendant que la mère fait enfin son ménage après l’avoir fait pour les autres toute la semaine. Ce sont des moments de grand bonheur, le père est là, solide comme un roc et débordant de tendresse. On ne craint plus rien…
Puis vient un désir d’émancipation. C’est une descente épique et angoissante dans un bordel avec les copains pour découvrir les choses du sexe auprès de femmes un peu cavalières mais pleines de compassion pour ces jeunes puceaux. Il n’y a pas d’autre solution pour se déniaiser… les filles italiennes sont quasiment cadenassées chez elles et les françaises ne sont pas pour eux.
Puis on a soif d’aventure, de découvrir le monde. On prend la route avec un copain vers le sud, en vélo, en laissant une lettre aux parents. Mais on se ravise bientôt et c’est un retour un peu penaud vers des parents trop heureux pour faire le moindre reproche.
Ce n’est pas ici le Cavanna mordant, acide, intransigeant que nous connaissons au travers de sa carrière de journaliste satirique. C’est un Cavanna touchant, sensible, débordant de tendresse pour ce père admirable et plein d’humanité. Ces moments de vie de l’enfance et de l’adolescence sont autant d’instants de bonheur simple et éphémère que Bruno Putzulu, lui-même issu de cette immigration italienne, évoque avec finesse dans un jeu délicat, juvénile, presque félin.
Le décor est épuré : une table de cuisine et sa toile cirée, des chaises. C’est le lieu intime du foyer où l’on imagine voir fumer le plat de pâtes quotidien. L’aspect poétique de la mise en scène est soutenu par la musique tour à tour tendre, nostalgique, enjouée de Grégory Daltin à l’accordéon – en alternance avec Aurélien Noël.
Si ce texte de Cavanna respire le bonheur de l’enfance, il ne masque nullement la misère de ces immigrés italiens traités avec mépris de « macaronis » ou de « ritals », victimes d’une xénophobie qui trouvait peut-être sa source plus dans un rejet de la pauvreté que dans celui d’une culture, somme toute pas très différente de celle de la France de l’époque.
Un beau spectacle pour tous publics, tendre, poétique, interprété avec talent, qui fait revivre avec émotion les moments d’une enfance pauvre mais heureuse tout en évoquant une immigration presque centenaire qui résonne étrangement dans le monde d’aujourd’hui.
Jean-Louis Blanc
Merci beaucoup Monsieur Blanc.