« LA REVERENCE », LES PETITS BATEAUX DANS L’EAU
lebruitduoff.com – 14 juillet 2021
AVIGNON OFF 2021. « La révérence » – Mise en scène : Hala Ghosn – Compagnie La Poursuite – Théâtre le 11 à 18h20.
« C’est l’histoire d’un frimeur italien qui a raté son coup et qui s’est sauvé comme un lâche. » Un bateau de croisière s’est éventré contre un rocher et son commandant, la peur au ventre, s’enfuit sans se préoccuper des passagers qu’il reste à évacuer. La pièce de théâtre née de cette tragique histoire vraie a aussi fait son naufrage, sauf que personne dans la salle n’a pu quitter le navire et moi j’ai bu la tasse.
Pourtant la mise en scène est riche ! Des pendrillons découpent l’espace, toujours avec fluidité, les costumes sont élégants, surtout lorsqu’ils sont uniformes sur les cinq comédiens, un saxophoniste interprète la trompette du bateau, les feuilles blanches jetées au sol côtoient de près l’écume, et le radeau de la méduse fait de pièces rapportées a la poésie en vogue quand il vogue. A l’exception de ces vidéos kitsch de bulles et de hublots, je tire ma révérence aux couleurs, au dynamisme et à la précision de la mise en scène. Mais le joli costume du crabe n’est pas la bouée à laquelle on peut s’accrocher pendant que tout sombre.
D’abord et à bâbord, parce que le costume de crabe n’a pas grand chose à faire ici, comme beaucoup d’autres éléments qui se succèdent les uns aux autres sans raison ni retenue ; il n’y a rien de pire qu’un cadavre exquis fabriqué dans la solitude. Si on nous montre la manière dont a été formé le capitaine, si on nous explique le déroulement précis des événements aboutissant au naufrage, si on nous fait entendre le vrai dialogue enregistré entre un héros national assis dans une pièce chauffée et ce poltron de capitaine en train de couler, il y a entre les mailles de toutes ces scènes tant de digressions inutiles, de métaphores claudicantes, de quatrièmes murs brisés pour forcer nos rires, qu’elles en deviennent, ces scènes bien dans le sujet, aussi arbitraires que les autres. Quand la plupart des transitions sont des ruptures faciles que font les comédiens en se grondant les uns sur les autres, à coup de « décale toi, coupe la musique, arrête avec ton micro », quand les comédiens veulent montrer « leur comédien », eh ben on a un peu de mal à voir ce que vient faire tout cet orgueil dans une histoire de peur, de honte et de lâcheté, une histoire intéressante en somme, qu’on aurait aimé mieux racontée.
En fait il n’y a pas de personnages dans cette pièce, rien que des comédiens, je crois que c’est ça le problème : le visage du capitaine est à peine entrapercu sous son béret blanc, les publicitaires arborent le même sourire ennuyeux, qu’ils soient en train de vanter les innovations de bateaux de croisière ou de vendre aux enchères des objets rescapés du Concordia, et la baleine est lyrique tiens comme par hasard mais ciel qu’est-ce que c’est long. Une seule scène échappe à cette indistinction généralisée, à cet éparpillement gratuit, interminable et séducteur avec ses pinces hautes en couleurs : vers le début, les naufragés venus d’horizons polyphoniques racontent le naufrage avec leurs voix minuscules, singulières, tirées de brochures, de livres, et leurs voix nous transportent parce qu’elles sont celles de personnages, de vrais personnages et échappent à cette théâtralité que les comédiens n’arrêtent pas de dénoncer. Si moi je n’ai aimé qu’une dizaine de petites minutes de cette pièce, les spectateurs autour de moi, à l’exception d’un coquillage à ma droite, semblaient ravis et ont beaucoup applaudi, alors il faut rappeler que ce petit mal de mer en papier n’est que le mien, que moi j’ai souvent le mal de mer, alors voilà cet avis, il ne vaut pas grand chose.
Célia Jaillet
Photo © Thierry Laporte