« LA FABRIQUE DES IDOLES », UNE HISTOIRE A DORMIR DE BOUT EN BOUT
lebruitduoff.com – 12 juillet 2022
AVIGNON OFF 2022. « La fabrique des idoles » – MegaSuperTheatre – Au 11 à 15h15 du 7 au 29 juillet (relâches les mardis) – Durée 1h30.
L’ambition assumée de la Fabrique des idoles est « d’aller fouiller dans les histoires du monde, la nôtre prioritairement, pour savoir comment celles-ci sont construites. » Si la note d’intention est « un peu megalo » selon les propres mots du metteur en scène dont la compagnie porte le nom rappelons le de SuperMegaTheatre, il y reste écrit, dans ce justificatif, que « la fabrique des idoles est un spectacle dément mais voué à l’échec. Dément car c’est juste inconscient de vouloir faire un spectacle qui va ausculter nos croyances à travers les histoires qui ont fondé nos civilisations. » Si monts et merveilles nous sont promis, nous restons prévenus : des veaux d’or risquent de remplacer les merveilles et ce sera des monticules à la place des monts. Au milieu du spectacle les comédiens implorent notre miséricorde, s’excusant de ne pouvoir fabriquer un spectacle-fleuve englobant la totalité des mythes et récits fondateurs. S’ils paraissent tout à fait conscients des limites de leur projet, de la difficulté posée par l’ambition qu’ils ont de réaliser un spectacle ébranlant deux millénaires de fictions, de croyances, de manuscrits au coin du feu, il ne suffit pas d’utiliser la poutre de leurs yeux (dont ils devinent certes la présence) pour nous envoyer de la poudre aux yeux, il ne suffit pas d’exhiber failles et coutures pour empêcher le vide de s’effilocher. Le 4eme mur brisé à tout va essaye tant bien que mal de créer une complicité entre la scène et la salle, histoire qu’on accepte de mettre nos pas dans leurs maladresses. Mais l’histoire le répète : qui s’excuse s’accuse (mais moi aussi je m’excuse d’être aussi sèche)
Le début du spectacle tient pourtant à peu près ses promesses : à travers deux comédiens figés comme des statues, le troisième, au micro, interprète le dialogue de deux hommes de cro-magnons. L’un raconte une histoire, l’autre lui suggère quelques mécanismes de narration permettant de retenir l’attention du spectateur et d’abolir l’ennui : « il te faut un personnage héroïque, un but, une belle description de l’obstacle, tu vois ? » Mais rapidement, d’autres scènes s’ajoutent sans vraiment se suivre et nous sommes vite perdus à travers un maelström d’arbitrarité dont on ne saisit plus du tout la cohérence. Quel lien entre une brève épopée commençant par le big bang, les miracles de Jésus et le voyage sur la Lune ? Quel lien entre la chanson de Roland, Charles Manson et Bill Clinton aidant les pauvres ? Une manière de tordre l’histoire (bien entendu), un angle de vue, un parti-pris ; mais pourquoi avoir choisi ces récits là qui ne sont pas plus déformés et réecrits que d’autres ? Pourquoi ne pas avoir davantage insisté sur la transformation idéologique de ces histoires décousues en mythes définitifs ? Pourquoi s’être contenté de rendre rigolos les meetings des puissants, rigolo le discours de Manson et rigolotes ces chroniques parodiques de radio qui font tomber comme la plupart des autres scenettes leurs cheveux dans la soupe ? Comme si l’occasion d’une bonne blague décidait à la place du bon sens de quel sujet traiter. Le Veau d’or est à peine effleuré qu’on clame déjà à propos d’un tableau : « Nicolas Poussin, le Veau, le lapin » On rit jaune (poussin) mais pas longtemps, car le temps est long.
Dommage que tout soit aussi emmêlé et fatigant dans cette fabrique qui trafique plus qu’elle ne fabrique : en effet, les comédiens restent très justes, précis et tout de même rigolos par endroits, la musique ennivre en se composant sous nos yeux, dans le blanc d’un décor simple où tout devrait être possible. Dommage que la conclusion (« nous n’existons pas, nous ne sommes que des sédiments d’histoires ») débarque sans crier gare alors qu’elle est vraie et vraiment intéressante. Dommage qu’on nous ait un peu pris pour des enfants aux croyances acharnées. Mais ce dommage peut ne s’appliquer qu’à moi qui n’ait pas su saisir les cordes et les nœuds coulants portant jusqu’à bout portant le spectacle : j’ai peut être perdu le fil (peut être qu’il ne tenait qu’à un fil ?).
Célia Jaillet