« OLIVIER MASSON DOIT-IL MOURIR ? », BEAU, FORT, TRES NECESSAIRE
lebruitduoff.com – 12 juillet 2022
AVIGNON OFF 2022. « Olivier Masson doit-il mourir ? » – François Hien / l’harmonie Communale – Au Théâtre du train bleu, à 22h30 du 8 au 27 juillet (relâche le 14 et le 21).
« Olivier Masson doit-il mourir ? » est le plus beau, le plus fort, le plus nécessaire spectacle du Off qu’il m’a été donné de voir pour le moment. Voici pourquoi :
-La pièce est inspirée de l’affaire Vincent Lambert qui a secoué la France entre 2014 et 2019 et a connu un grand retentissement médiatique, sociétal, philosophique : un homme, un accident de moto, une lente immobilité, on dit « état végétatif », une plante à arroser. Après six ans de stagnation et d’échecs médicaux, son épouse décide de faire appel à la loi Léonetti permettant l’arrêt des soins maintenant artificiellement la vie (appelés « acharnement thérapeutique »).
-La mère s’y oppose : sa religion le lui interdit et plus tard nous découvrons que sa culpabilité liée à un événement passé joue un rôle important dans sa décision (pour qui faisons-nous des choix et particulièrement ceux qui concernent les autres ?)
– Nous assistons en réalité à deux procès aux temporalités entremêlées : celui de la mère contre la femme (déjà veuve ?) et celui de l’infirmier qui a tranché le premier en injectant à son patient une dose létale.
– Ce personnage, fictif, ajoute à l’affaire (résolue légalement dans la réalité) une dimension plus psychologique : tout le spectacle tente d’expliquer son geste, de le comprendre, et c’est là l’occasion de déployer différentes réflexions qui prennent la forme de dialogues, d’interrogatoires ou de plaidoiries.
-Qui peut décider de la mort de quelqu’un ? A partir de quand considère t-on qu’une personne ne vit plus ? Pourquoi s’acharner à éteindre une carcasse ? La vie que l’on repère chez un absent est-elle la projection d’un besoin, celui d’avoir raison d’espérer ? Qu’est-ce qu’une coquille vide ? Doit-on libérer les vivants ? Peut-on mourir dignement ? Doit-on mourir dignement ?
-La réponse à ces questions fluctue au fil du texte, remue au rythme des voix, des blouses blanches, des chapelets et des robes d’avocats : nous accordons notre croyance à celui qui parle aussi longtemps qu’il parle, avec brio, comme celui qui suivra, et qui l’emportera. Le doute n’a pas besoin d’être méthodique : nous sommes brassés, remués et rattrapés par un mouvement continu, celui d’une pensée en quête de contradictions, intelligente sans chercher à l’être.
-Au-delà de ces cheminements dialectiques qui nous prennent à parti, une intrigue se dessine, un mystère s’épaissit, des indices s’accumulent : pourquoi l’infirmer, ni partisan de l’euthanasie ni fou ni certain de s’adresser chaque jour à une coquille vide, qui ne fait rien de plus que d’effectuer au mieux son travail, y mettant tout son cœur, toute sa douceur, pourquoi décide t-il de le tuer ? Lors de son procès, il refuse d’expliquer les raisons de son geste : peut-on deviner, à partir de ses dénégations, son secret ?
-Beaucoup de scènes nous questionnent, beaucoup d’autres nous empoignent, et souvent en même temps.
-Cinq comédiens évoluent sur le plateau en échangeant vestes et personnages, joutes et murmures, toujours avec précision et fluidité. Ils ont une sincérité dont on ne peut pas douter, qui crée une harmonie quasi-musicale entre ces figures contrastées. Si certains personnages (avocats, juges, médecins) changent à la volée de visages, d’autres (la mère, la femme, l’enfant, l’infirmer) ont des traits qui leur sont propres, des regards auxquels on s’attache, une beauté qu’on apprend (malraux disait : « comprendre ce n’est plus juger »)
-Conclusion : On ne sait pas si Olivier Masson doit mourir, mais on sait qu’il faut un point d’interrogation. Et revenir.
Célia Jaillet