« LA BELLE SCENE SAINT DENIS » : ENCORE DU BON, DU BEAU ET DU PUISSANT
lebruitduoff.com – 18 juillet 2022
AVIGNON OFF 2022. « LA BELLE SCENE SAINT DENIS » – PROGRAMME DANSE #2 > DU 16 AU 20 JUILLET À 10H – Théâtre La Parenthèse : Vignette(s) – Soleil du nom – Bernardo Montet / Attitudes habillées – Le quatuor (extraits) – Balkis Moutashar / Hip-Hop Nakupenda (version courte) – Anne Nguyen & Yves Mwamba.
PARFUM D’ELLE
On a plaisir à retrouver les artistes de la Compagnie Catalyse qu’on avait aimés dans Les Oiseaux d’Aristophane (Hivernales 2015), Ludwig, un roi sur la lune/70ème festival, Gulliver, le dernier voyage/75ème où déjà, Guillaume Drouadaine, s’était fait remarquer par des prestations incroyables, notamment dans le rôle de Ludwig où son étrangeté servait le rôle de ce Roi fou… Ici, il revisite le solo dansé naguère par Bernardo Montet en 2016, déjà un moment de grâce avec des vrais morceaux d’intériorité et de présence à l’intérieur… Fragile, perché sur des chaussures à talon rouges lacés devant, un long manteau en faux cuir ou en fourrure, l’homme à la mèche sur le front, façon Bonaparte, danse pendant qu’un texte en voix off résonne et qu’un film est projeté sur le mur de la maison de la Parenthèse, à peine visible du fait de la lumière du jour… La voix de Rodolphe Burger résonne – Parfum d’elle, je vous le recommande ! – Le danseur, plaqué au mur du souvenir, sous le film, combattant, boxant avec un ennemi invisible « qu’est-ce que c’est que ce berceau soudain » dit la voix. Guillaume Drouadaine entre Abel Gance et Antonin Artaud crapahute sur un banc au lointain. On est saisi par la précision de son geste, par son inspiration. Bernardo Montet a raison : les comédies de Catalyse sont des danseurs, des acteurs, des artistes et ici, on en a la preuve.
SI BEAUX DANS CE MIROIR
Elle a fait du chemin depuis ses débuts à Avignon où la chorégraphe et danseuse longiligne Balkis Moutashar présentait Les portes pareilles, hommage au cabaret où elle a fait ses armes de danseuse… Ici, trois femmes en robe blanche entrent sur demi pointes et sautillent de droite à gauche, de bas en haut, rejointent dans ce mouvement par un homme, lui aussi en robe… Ils se déplacent. Ils ne se touchent pas. Comme sur une route, il y a des priorités, personne ne se croisent… Les comptes sont parfaits. Et si la séquence dure un peu – mais c’est un extrait d’une pièce existante ! – l’arrivée d’un élément perturbateur vient donner tout son sens à cette pièce sur le costume et sous cette chaleur écrasante, on ne s’imagine plus avec coiffes et coturnes tels que montrés ici… c’est très beau. On retrouve l’humour de la chorégraphe qui sait ne pas se prendre au sérieux… L’ensemble donne envie de voir la pièce en entier…
LE MAÎTRE DES CLES
Yves Mwamba fait son entrée sur la scène, seul, nattes blondes, treillis, T-shirt rouge… la musique est entrainante, mais le sujet est lourd… A la fois les révolutions pour libérer le Congo et les luttes pour se débarrasser des dictateurs mégalomanes qu’ont été Mobutu, traitre à Lumumba et Kabila… Lui Yves Mwamba était danseur hip-hop à Kisangani… au milieu des balles des forces libératrices et dans son récit, on touche du doigt l’horreur de ces corps de gens laissés morts dans les rues, à même le sol, sans pouvoir les récupérer… Belle idée de la chorégraphe Anne Nguyen de faire connaître à la fois ce danseur et cette situation qui prouve que la guerre est partout… Yves Mwamba refait son parcours. Il nous fait revisiter les fondamentaux du hiphop : bbox, frezze, pop-in, krump et waaking… Et puis le Ndombolo et la rumba congolaise, musique publicitaire par excellence… à travers cette demi-heure on reprend conscience du malheur traversé par l’Afrique. On pense aux intérêts qu’ils y ont laissés… Impressionnant dans sa danse, captivant par sa présence Yves Mwamba est sans nul doute la révélation de ce programme…
Emmanuel Serafini
Image: Hip-Hop Nakupenda (version courte) – Anne Nguyen & Yves Mwamba – Photo Patrick Berger