« PETITE », MA MAISON EST EN CARTON, PIROUETTE, CACAHOUETTE (COMPTINE A CONTINUER)

petite

lebruitduoff.com – 30 juillet 2022

AVIGNON OFF 2022. « Petite » – Texte : Ariane Louis, Mise en scène : Thibaut Besnard – Au figuier pourpre, du 7 au 30 juillet à 19h40.

Dans « une maison sans jour ni nuit » qui peut-être n’est même pas éclairée, dans une pièce étroite où sont entreposés des cartons vides accrochés à leur poussière, deux adultes aux airs enfantins, deux gamines dont on ne parvient pas à savoir l’âge ou le prénom, deux silhouettes aux accents de folie restent enfermées entre ces quatre murs sans pouvoir échapper à leurs oreilles fatiguées. Cela ressemble d’abord à du Beckett, style : « -qu’est ce qu’on fait ? -on attend. -mais qu’est ce qu’on fait en attendant ? -on est contents. » sauf que là, contentes elles ne le sont pas en très grand. Il y a une grande sœur et une moins grande sœur : la première est enfermée dans ses TOCS qui s’extirpent de son corps comme d’une boîte, à intervalles plus ou moins régulières, par à-coups, par secousses, pendant que la seconde trie inlassablement des boîtes (« tu as le regard toujours tourné vers tes boîtes pour éviter de voir que tu y es toi-même enfermée ») selon des structures architecturales complexes fondant une scénographie toujours en mouvement, avec création de murs, murailles, escaliers, cairns et fractales en tout genre. Elles s’enferment toutes deux dans la répétition de gestes qui se font de plus en plus compulsifs, sans perdre pour autant leur précision. La grande regarde inlassablement la porte, l’autre en fabrique de fausses, avec judas, par le truchement de ses boîtes quand elles ne forment pas un ponton. Habituées à la répétition, leurs mouvements se définissent par la fluidité. Tout va très vite et c’est à un tetris presque rempli qu’on assiste, via le déplacement constant des boîtes. Si la « petite » affirme que « la porte ne nous empêche pas de sortir mais empêche le monde de rentrer » il demeure qu’elle constitue un obstacle de taille, une énorme boîte de chair pour sa grande sœur cloîtrée à ses côtés, entre ses côtes, forcée de jouer un rôle dont elle ne veut plus. « Le noeud de l’intrigue coulisse » explique d’abord le narrateur avant d’en venir à cette sentence tragique : « Le noeud de l’intrigue étrangle la plus grande sœur. »

Enfermées dans un univers si intérieur qu’il faudrait l’éventrer pour y accéder, dans un terrier tout à fait kafkaïen, les deux sœurs cherchent des moyens de passer le temps sans le regarder couler. Au-delà des activités répétitives qu’elles mènent et qui les mènent en bâteau, leurs disputes fautes d’éclaboussures et de punchlines de haute volée leur offrent une forme de divertissement : « Tu es tellement plissée que tes larmes stagnent sur tes joues » dit la grande à la moins grande. Le narrateur passe au bout d’un moment du statut de bruit (« -tu n’entends rien ? -mais non -mais là ? ») à celui de personnage, qui paraît tout droit sorti de l’imagination d’une des deux sœurs ; il des bretelles de la même couleur que les sangles qui entourent les boîtes et devient une sorte de jouet sexuel, maison de poupée renversée par le matriarcat. Ce grand, beau et fort et jeune Ken entretient une relation amoureuse avec la petite, ce qui donne lieu à des chorégraphies en duo, vertigineuses quand elles ne sont pas marionnetisées, très impressionnantes sur ces silhouettes labiles et facilement légères dans l’aérien. Malgré ses sentiments amoureux naissants, la petite choisit se servir de lui comme d’un appât pour que la grande demeure dans sa cage en papier, par le prisme mâlin de ce divertissement d’amour en forme de joli garçon.

Des intrigues remuent, un suspens s’invente au fil de l’histoire, la tension tire ses bobines, se lèche les babines, mais un désordre ambiant demeure au centre, qui emmêle l’ensemble des boucles. On dirait que chaque figure est enfermée dans un cycle qui croise, sans infléchir sa courbe, celui des autres. On dirait que la pièce se répète à l’infini comme un jeu de dames et d’âmes au seuil du paradis, dans un entrepôt de purgatoire. On dirait que tout s’invente dans une tête avide de polyphonie et de contradictions intranquilles. Ces différentes interprétations fonctionnent pendant quelques quarts d’heures, sur des morceaux de la pièce mais finissent par être niées par un détail, une réplique, un regard : le Narrateur à beau être omniscient il ne perçoit pas la dimension sacrée des cartons (pas si omniscient donc), la Petite crée, colmate, fige mais détruit le coup d’après, la Grande paraît vouloir sortir depuis une éternité mais ne cesse de demeurer, bref il y a beaucoup à dire, à penser, à questionner.

Si la pièce traite d’emprisonnement dans une tour d’ivoire ou de carton, de réclusion dans une chambre à soi coupée des autres, les portes restent grandes ouvertes à l’imagination du public, qui lui aussi a dû abandonner son nombre de cartons vides mais bien vivants, abimés de souvenirs. Cependant, la pièce souffre de quelques incohérences, manques de rythme ou de justesse au niveau du jeu ou du texte : c’est un peu brumeux par endroits tant ça s’enchaîne sans menottes, la folie manque parfois de tenue et l’amour passionné semble un peu fabriqué au hasard malgré la jolie scène dansée autour du baiser style Peeping Tom. L’aspect essentiellement contradictoire et fractal de l’ensemble résout in fine ces carences disséminées. Ce qu’on retient surtout c’est qu’il a ce souffle de plusieurs voix dans une fantasmagorie en proie à l’enfance et à l’étrangeté, que le texte est intelligent, la scénographie originale en ce qu’elle offre une myriade d’images possibles et de château-forts assiégés, que la mise en scène très précise marie à la perfection corps, mouvements et musique, qu’en somme on assiste à du très joli théâtre en mouvement inanimé, logé dans un microcosme agrandi par nos yeux grands ouverts et dans un rêve qui ne se réveille pas : donc petite par rapport à quoi ?

Célia Jaillet

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