« LA QUESTION », QUAND SE TAIRE PEUT PARLER

lebruitduoff.com – 27 juillet 2023

AVIGNON OFF 2023. La question – Mise en scène : Laurent Meininger – Avec Stanislas Nordey – Au théâtre des Halles jusqu’au 26 juillet à 16h30.

Il y a plusieurs façons de lire la phrase d’Adorno selon laquelle « après Auschwitz on ne pourra plus écrire de poèmes » : l’horreur des camps de concentration est en effet si insoutenable qu’elle ne peut faire l’objet d’une esthétisation, d’une transformation de la souffrance en vers. Il y aurait là un problème moral. Adorno fait aussi le constat de la vacuité des mots devant l’horreur, de leur stérilité. Pourtant, énoncer une telle certitude ne l’empêche pas de nourrir l’espérance d’une parole capable d’exprimer l’horreur sans obscénité, l’inimaginable sans fausses métaphores et fioritures. Refuser le silence caractéristique du corps supplicié afin d’afficher le visage du bourreau, pour le dénoncer, c’est le projet d’écriture qu’entreprend Henri Alleg, après avoir été séquestré et torturé pendant un mois en 1957, pendant la guerre d’Algérie. Il dirigeait le journal indépendantiste d’Alger, en plus d’être communiste. 

Le ton emprunté pour décrire les tortures subies est froid, sec. Les descriptions vont droit au but des horreurs qui lui sont faites. Sans cynisme ni panache, Henri Alleg raconte ce qui lui a fait mordre le bâillon quand il ne pouvait plus hurler. La frontalité avec laquelle Stanislas Nordey aborde ce texte fait trembler : c’est d’abord à fuir que j’ai songé avant d’accepter qu’il fallait entendre. On ne peut pas accuser le public de voyeurisme, ça non. Droit, précis (à l’exception de quelques consonnes mal articulées – est-ce intentionnel ?) Nordey refuse la larme à l’oeil et les sanglots dans la gorge pour demeurer d’une justesse parfaitement tranchante. Derrière lui, des fils pendent et parfois s’agitent, figurant sans doute les câbles électriques dont les bourreaux ont fait usage pour le forcer à répondre à « la question », titre d’un livre qui décide lui non plus de ne pas y répondre. Henri Alleg se tait tandis que Nordey parle de ce qu’on lui interdit de parler – puisque ce texte sera censuré et son auteur emprisonné.

Une pièce en somme très forte, en tension sur le fil d’un rasoir qu’on préférerait ne pas imaginer, interprétée par un comédien brillant, qui tient de bout en bout un personnage qui n’en est pas un puisqu’il est homme, vulnérable et capable de se taire autant que de parler.

Célia Jaillet

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